Spontanément, lorsque nous apprenons à connaître une autre personne, nous accumulons bon nombre d’informations pour en dessiner une personnalité, quelque part entre notre cerveau et notre cœur.
Parmi ces informations, il y a bien sûr des « données d’état civil », mais au-delà de celles-ci, nous captons d’emblée d’autres éléments : sa manière de s’exprimer (verbal, non verbal, paraverbal), son style vestimentaire, sa manière de marcher, de manger, ses tics. Puis, en la côtoyant davantage, nous explorons ses goûts, ses idées, ses opinions, ses valeurs, etc.
Au bout d’un moment, plus ou moins long pour chacun, l’esquisse de cette personnalité devient croquis, puis ébauche et dessin toujours voué à la retouche. Alors nous sommes fiers de dire « je connais cette personne depuis 10 , 20 ou 30 ans » sous-entendant presque que « ça y est, maintenant, j’ai fait le tour de sa singularité, de son unicité. Je la connais ! ». Elle nous devient (presque) prévisible. Et souvent, nous avons raison, la personne a réagi comme prévu. Pour le reste, nous considérons que ce sont des exceptions… qui confirment la règle.
Pourtant, cette autre personne est-elle aussi prévisible ? Est-elle la même ici et ailleurs ? Est-elle la même hier et aujourd’hui ?
En nous regardant nous-mêmes, et avec un peu de lucidité, nous pouvons constater que nous sommes pluriels. Nous ne réagissons pas tout à fait – voire pas du tout – de la même manière à la maison, au travail, entre amis. Plus orienté résultat ici, et là plus centré sur l’instant présent. Plus conventionnel ici et là taquinant davantage les règles et le cadre. Plus contrôlant ici et là plus décontracté. Plus égocentré ici et plus altruiste là.
Nous ne sommes pas non plus la personne que nous avons été. Plus assertive ou plus modérée. Plus audacieuse ou plus frileuse. Plus épicurienne ou plus ascète. Plus aventurière ou plus casanière.
Alors si nous sommes nous-mêmes aussi différents dans l’espace et dans le temps, pourquoi nous échiner à faire entrer ceux qui nous entourent dans les costumes que nous leur avons taillés ? Pourquoi n’auraient-ils pas droit à être différents selon le lieu et le moment ? Pourquoi seraient-ils exempts de paradoxes ?
Accueillons les dissonances d’autrui, singulier, comme simple incompréhension de notre part de leur mystérieuse nature humaine, plurielle.